LE REAL SE PAYE UN PICASSO
Des journalistes sportif aux journalistes d'information en passant par les anciennes gloires du football et bien sûr les bloggeurs, dans les bars-tabac-pmu, les salles des profs ou devant les écrans d'ordinateur, le monde entier n'a que ce nombre à la bouche : 94 millions d'euro (80 millions de livres sterling)
Cette somme "dépasse les limites du raisonnable" (Anibal Cavaco Silva), "injustifiable et incompréhensible à tout esprit normal" (Frédéric Thiriez) ou encore "cet engrenage pose de nouveau et de façon aigüe la question du fair-play financier" (Michel Platini).
Mais au fait j'ai oublié de préciser que cette somme n'est pas le PIB de la République des Kiribati (c'est beaucoup moins) ni la sanction de la Commission Européenne à l'encontre d'Intel ou de Microsoft pour abus de position dominante (c'est beaucoup plus). Il s'agit du prix d'un joueur de football, celui du portugais Cristiano Ronaldo. Oui le prix ! Ici on ne parle pas de son salaire (sans doute plus de 500.000 € mensuel) mais du montant que son ancien club, l'anglais Manchester va recevoir du Real, célèbre club madrilène surendetté (plus de 500 millions d'euros).
"Tout ça au fond ce n'est que du football" serait la conclusion logique mais la crise est passée par là et l'argent a aujourd'hui une toute autre valeur. Le président de la FIFA, M. Blatter aurait été inspiré de tenter de calmer un peu le jeu, au contraire il en rajoute, sans doute en tant qu'admirateur de C. Ronaldo (en 2008 il dementait avoir comparé à de "l'esclavage moderne" le refus de Manchester d'autoriser le transfert de l'attaquant portuguais déjà vers le Real). Toujours étant qu'il commente cette affaire en y voyant juste la preuve que le football se porte bien face à la crise ("Cela veut dire que notre produit est toujours un bon produit"). C'est en effet un commercial qui doit vendre "son produit". Il occulte donc très volontiers les dettes énormes contractées par les grands clubs européens, 3.4 milliards uniquement pour les clubs espagnols. Le jeu en vaut la chandelle sans doute.
Mais la coupe (de l'UEFA) est pleine lorsqu'il décide de frapper fort et de comparer son protégé avec "Le garçon à la pipe" de Picasso : "Il y a dix ans, un tableau de Picasso a été vendu aux enchères chez Sotheby's à Londres pour plus de 100 millions. Et qu'est-il advenu du tableau ? Il a été rangé quelque part où personne n'a pu le voir (...) Un footballeur, on peut le voir une ou deux fois par semaine"
Comment peut-on comparer un tableau à un joueur de football, même s'il était le meilleur joueur du monde ?
Entendons-nous bien, le football est, je le concède volontiers, devenu une sorte d'art. La performance des joueurs n'a plus grand-chose de sportive, elle participe plus à l'art du spectacle. N'y a-t-il pas de moins en moins de différence entre un match de foot et un film par exemple ? Là où M. Blatter dépasse les limites des bornes est qu'il omet de dire que les tableaux, même ceux de Picasso ont mis des décennies à prendre autant de valeur. Cristiano Ronaldo est quant à lui "vendable" que depuis 2003 environ. De même dans 10 ans personne ne payera un bath pour le faire jouer, c'est de l'art éphémère si cher à l'art contemporain.
Mais si l'on regarde un peu les chiffres c'est édifiant : en 2008 c'est le Louvre qui détient le record de fréquentation avec 8,5 millions de visiteurs contre plus de 26 millards de téléspectateurs devant la Coupe du monde 2006 !
Il devient difficile de lutter contre un tel constat. N'oublions pas que les plus grands clubs peuvent se permettre de telles dépenses grâce justement à ses fans. Vous savez ces personnes qui sont prêtes à mettre plus de 80€ dans l'achat d'un maillot de leur joueur préféré (ainsi Beckham a rapporté à Madrid quelques 600 millions d'euro en quatre ans seulement sur la vente de maillot). Le prix moyen d'une place est d'environ 60€ et il y a 60.000 place à Santiago Bernabeu. Je pourrais continuer comme ça très longtemps.
Je ne veux surtout pas faire de populisme ni de démagogie et M. Blatter n'a malheureusement pas tort quant à son constat, assez cynique il faut l'admettre. Le football est le nouvel opium du peuple et les narco-trafiquants ne se sont jamais aussi bien porté. On pourrait juste regretter d'être passé très loin du sport et pas seulement sur cette affaire.
Alors à tous les faux dévots et les vrais moralistes j'espère qu'il vous reste beaucoup d'énergie. Demain ça sera pire...